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asservissement

que dans les manuels ; il s’y impose en théorie, et non pas comme sentiment, comme fait. Dès que nous parlons fait, nous touchons à de grands mystères. Une patrie destinée à vivre est organisée de manière que ses obscures nécessités de fait soient senties promptement dans un organe approprié, cet organe étant mis en mesure d’exécuter les actes qu’elles appellent ; si vous enlevez cet organe, les peuples n’ont plus qu’à périr.

L’illusion de la politique française est de croire que de bons sentiments puissent se maintenir, se perpétuer par eux-mêmes et soutenir ainsi d’une façon constante l’accablant souci de l’État. Les bons sentiments, ce sont de bons accidents. Ils ne valent guère que dans le temps qu’ils sont sentis : à moins de procéder d’organes et d’institutions, leur source vive qu’il faut alors défendre et maintenir à tout prix, ils sont des fruits d’occasion, ils naissent de circonstances et de conjonctures heureuses. Il faut se hâter de saisir conjonctures, circonstances, occasions, pour tâcher d’en tirer quelque chose de plus durable. C’est quand les simples citoyens se sont fait, pour quelques instants, une âme royale, qu’ils sont bons à faire des rois. L’invasion normande au ixe siècle, l’invasion anglaise au xve n’auraient rien fait du tout si elles s’étaient bornées à susciter ou à consacrer le sentiment national en France : leur œuvre utile aura été, pour la première, de susciter et, pour la seconde, de consacrer la dynastie des rois capétiens. Les revers de l’Allemagne en 1806 lui donnèrent le sentiment de