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la difficulté

donc à titre double et triple le très grand nombre des lecteurs fidèles au goût du pays, qui ne voulurent accepter ni l’inconvenance, ni la laideur. Et c’est pourquoi, de 1825 à 1857, c’est-à-dire de Sainte-Beuve et de Vigny à Baudelaire, et de 1857 à 1895, c’est-à-dire de Baudelaire à Huysmans et à Mallarmé, d’importants sous-groupes de lettrés se détachent du monde qui achète et qui lit, et se dévouent dans l’ombre à la culture de ce qu’ils ont fini par appeler leur ystérie.

La valeur propre de cette littérature, dite de « tour d’ivoire », n’est pas à discuter ici. Elle exista, elle creusa un premier fossé entre certains écrivains et l’élite des lecteurs. Mais, du seul fait qu’elle existait, par ses outrances, souvent assez ingénieuses, parfois piquantes, toujours infiniment voyantes, elle attira vers son orbite, sans les y enfermer, beaucoup des écrivains que lisait un public moins rare. On n’était plus tenu par le scrupule de choquer une clientèle de gens de goût, et l’on fut stimulé par le désir de ne pas déplaire à un petit monde d’originaux extravagants.

Plus soucieuse d’intelligence (c’était le mot dont on usait) que de jugement, la critique servait et favorisait ce penchant ; de sorte que, au lieu de se corriger en se rapprochant des meilleurs modèles de sa race et de sa tradition, un Gautier devenait de plus en plus Gautier et abondait fatalement dans son péché, qui était la manie de la description sans mesure ; un Balzac, un Hugo ne s’efforçaient que de se