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mademoiselle monk

beauté intacte et un charme croissant sonnaient alors, on peut le dire, et sonnaient bien ensemble l’heure parfaite d’un beau jour. On en goûte mieux la profonde lumière sur cette page écrite à la mémoire du dernier séjour à Vigny.

Rien ne me presse, je veux me rappeler les impressions que m’a fait éprouver le séjour à Vigny. C’est le seul endroit où l’on ait conservé mémoire de moi, depuis mon enfance. On voit encore mon nom écrit sur des murs, des êtres vivants parlent de ce que je fus ; enfin là je me crois à l’abri de cette fatalité qui semble avoir attaché près de moi un spectre invisible qui rompt à chaque instant les liens qui unissent mon existence avec le passé, et qui efface la trace de mes pas. Je retrouve à Vigny tout ce qui pour moi compose le passé et j’acquiers la certitude d’avoir été aussi entourée d’intérêt doux dans mon enfance et de quelques espérances dans ma jeunesse. Voilà la chambre de cette amie qui protégea mes premiers jours, je vois la place où je causais avec elle, où je recevais ses leçons. Voilà le rond où je dansais le dimanche, voilà les petits fossés que je trouvais si grands, et le saule que mon père a planté au pied de la tour de sa maîtresse. Hélas ! sa maîtresse, à la distance d’une chambre, gît là, dans la chapelle, derrière le lit qu’elle a si longtemps occupé et où peut-être elle a rêvé le bonheur ! Ah ! mon père, lors de ce dernier voyage à Vigny, était vivant, et la douce idée de sentir encore son cœur battre embellissait pour moi un avenir où il n’est plus !

Ces grands arbres, sous lesquels mon enfance s’est écoulée, qui ont reçu sous leur ombre protectrice nos parents, le duc Fleury, un moment après, M. de Montrond, après un espace de dix-huit années, je les revoyais, j’étais sous leur abri ! j’habitais cette même chambre verte où les mêmes portraits semblaient jeter sur moi le même regard !