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la comtesse de noailles

rayon de miel, un filet de lait et de vin. Le poète raffiné du Cœur innombrable charge un faune de ses commissions pour le Styx, mais la collation rituelle est augmentée d’un mets nouveau : c’est le don royal d’elle-même, et ce présent fait à des Ombres, qui n’en peuvent goûter (elle le dit), pourra paraître assez méchant :

Dis-leur comme ils sont doux à voir,
Mes cheveux bleus comme des prunes,
Mes pieds pareils à des miroirs
Et mes deux yeux couleur de lune,

Et dis-leur que, dans les soirs lourds,
Couchée au bord frais des fontaines,
J’eus le désir de leurs amours,
Et j’ai pressé leurs ombres vaines.

Cette offrande fera voir en quel sens baudelairien la comtesse de Noailles transforme l’antique. On le sentira mieux en lisant un autre poème, moins réussi, l’historiette de la petite Bittô. Bittô bergère vient de se donner, en une vingtaine de strophes, à son berger, Criton. Quand elle est bien vaincue, le poète pousse une exclamation : Comme elle est grave et pâle… et continue :

Bittô, je vous dirai votre grande méprise.

Le commentaire des méprises de Bittô dure six bonnes strophes, où la vagabonde pensée noue et dénoue, sans rien indiquer de bien net, de molles écharpes. L’objet s’est évanoui dans le rêve, le sujet