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le romantisme féminin

paradoxe très naturel. La nature sans culture, comme un élan sans ordre, ne saurait persévérer dans ce chef-d’œuvre et ce miracle : dans le bien. Un goût natif est peu de chose sans les habitudes qui l’entretiennent et l’affinent. Or, il n’existe plus de compagnie littéraire où soient cultivées des habitudes de cette qualité. Les applaudissements que reçut le distique de Mme de Régnier avaient été très vifs, mais perdus dans quelque périodique obscur ou dans l’arrière-salle d’un café du pays latin. Il leur manqua l’autorité, celle qui vient d’une haute influence personnelle, ou celle qui découle de l’assentiment collectif. Ni le murmure du public ni la voix d’un maître ne vinrent dire à cette enfant ce que chantent les Muses dans la strophe de Théognis : « Ce qui est beau, nous l’aimons, et ce qui n’est pas beau, nous ne l’aimons pas[1] » Le public était corrompu. Le maître était absent, méconnu ou distrait. Il n’y a pas un seul de nos critiques littéraires qui mérite d’être appelé un juge. Celui qui tenterait de faire voir le beau et le laid dans les vers serait montré au doigt. Quant aux poètes à la mode, avant de rien juger, ils devraient commencer par aller cacher leurs volumes.

Les vers magnifiques de l’Ombre :

Le rameur qui m’a pris l’obole du passage
Et qui jamais ne parle aux ombres qu’il conduit,

n’étaient pas les seules promesses de ce poème. Des

  1. M. Jean Moréas a placé cette strophe en épigraphe de son beau poème à la mémoire de Paul Verlaine.