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auguste comte

les étincelles d’un foyer universel : l’adoration quotidienne de Clotilde inspira ce progrès constant. Je ne pense pas que, sans elle, Comte eût écrit tant de remarques où la délicate pénétration le dispute à la magnifique netteté, celle-ci par exemple, dont on ferait honneur à Pascal ou à Vauvenargues :

Les moindres études mathématiques peuvent ainsi inspirer un véritable attrait moral aux âmes bien nées qui les cultivent dignement. Il résulte de l’intime satisfaction que nous procure la pleine conviction d’une incontestable réalité, qui, surmontant notre personnalité, même mentale, nous subordonne librement à l’ordre extérieur. Ce sentiment est souvent dénaturé, surtout aujourd’hui, par l’orgueil qu’excite la découverte ou la possession de telle vérité. Mais il peut exister avec une entière pureté, même de nos jours. Tous ceux qui, à quelques égards, sont sortis de la fluctuation métaphysique, ont certainement éprouvé combien cette sincère soumission affecte doucement le cœur. Il peut ainsi sortir un véritable amour, peu exalté, mais très stable, pour les lois générales qui dissipent alors l’hésitation naturelle de nos appréciations[1] Car l’homme

  1. Jusque dans ses dernières années, Comte paraît avoir été insensible au mauvais effet de ces finales en tion. Elles lui ont gâté de bien belles phrases. D’une manière générale, le style de Comte éloigne par l’étrangeté, la difficulté. « Tu lis Auguste Comte, ce qui n’est pas drôle », dit M. Jules Lemaître à son célèbre ami. Taine, qui lisait Hegel en allemand, ne pouvait pas souffrir le français de Comte. Ce français a souvent la couleur d’un autre idiome : couleur qui n’est point due seulement au ton abstrait, commun à tous les philosophes ; il faut tenir compte d’un recours presque constant au langage spécial des mathématiciens, tant pour les locutions que pour les images. M. Faguet déclare que ce langage n’a de nom dans aucune langue. M. Aulard estime qu’il suffit d’ôter les adverbes pour donner de la légèreté à la phrase. Je propose de couper les jambes à M. Aulard pour inculquer de la gravité à son pas. — La critique attentive observera chez Comte une curieuse