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l’ordre positif d’après comte

mettre fin à l’anarchie des sentiments, comme il a fallu une classification des sciences pour mettre fin à l’anarchie des esprits.

Auguste Comte institua donc une religion. Si la tentative prête à sourire, je sais bien, par expérience, qu’on n’en sourit que faute d’en avoir pénétré bien profondément les raisons.

Le dogme catholique met à son centre l’être le plus grand qui puisse être pensé, id quo majus cogitari non potest[1], l’être par excellence, l’être des êtres et celui qui dit ; sum qui sum. Le dogme positiviste établit à son centre le plus grand être qui puisse être connu, mais connu « positivement », c’est-à-dire en dehors de tout procédé théologique ou métaphysique. Cet être, les sciences positives l’ont saisi et nommé au dernier terme de leur enchaînement, quand elles ont traité de la société humaine : c’est le même être que propose à tout homme, comme son objet naturel, l’instinctive révélation de l’amour dans la silencieuse solitude d’un cœur, qui ne cherche jamais que lui : être semblable et différent, extérieur à nous et présent au fond de nos âmes, proche et lointain, mystérieux et manifeste, tout à la fois le plus concret de tous les Êtres, la plus haute des abstractions, nécessaire comme le pain et misérablement ignoré de ce qui n’a la vie que par lui ! Ce que dit la synthèse, ce que la sympathie murmure, une synergie religieuse, de tous nos

  1. Saint Thomas, résumant saint Augustin et saint Anselme (Sum. théol, prima primæ, q. ii, art. i, 2).