mains, et lui dit avec un air paternel et protecteur : « Ma chère enfant, je suis heureux de vous voir, je sais ce que vous avez dû souffrir pendant cette horrible période au milieu des Prussiens. »
« Après nous avoir demandé des nouvelles des nôtres, il ajouta avec un tact médiocre : — Il est douloureux d’avoir perdu son pays, le pays qui vous a vu naître, où l’on a toutes ses affections. Mais, que voulez-vous, mes enfants ? Le régime qui a pesé si longtemps sur la France ne pouvait laisser que des désastres derrière lui. Vous qui n’êtes pas responsables de ses fautes, vous êtes punis cependant avec les autres, peut-être plus que les autres. » Dans notre émotion, nous attendions un correctif à ses paroles un peu cruelles dans leur banalité. Comme il tardait à venir, je me permis de dire au président : « La France a un grand devoir à remplir envers l’Alsace. Elle en a fait son bouc émissaire et n’en avait pas le droit. » Je ne pus achever. Grévy me regardait d’un œil sévère. « Mes enfants, dit-il, je sais que vous êtes pour la guerre. Eh bien ! je vous le dis à vous, mon ami, qui avez voté contre la conclusion de la paix : il ne faut pas que la France songe à la guerre. Il faut qu’elle accepte le fait accompli, il faut qu’elle renonce à l’Alsace. » Les larmes coulaient de nos yeux. Le président nous prit les maîns et ajouta : « Ne croyez pas les fous qui vous disent le contraire et qui sont cause que nos malheurs ont été aggravés par une lutte sans espoir. » Comprenant l’allusion perfide à Gambetta et sentant l’injure faite au grand citoyen en qui l’Alsace-Lorraine mettalt tout son espoir, nous sortîmes navrés de cette entrevue, comme si un mauvais génie venait de nous enlever tout ce qui nous restait de courage.
« Ce jour-là, j’ai jugé Grévy. J’avais jusqu’alors considéré cet homme, remarquable à bien des titres,