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ANTHINEA

prudence à cause d’une troupe d’Américains qui se rapprochaient avec bruit, prenant même grand soin que l’on me crût en train de mesurer la circonférence, je la baisai de mes lèvres comme une amie.

Ni le jeune homme que nous montre M. Melchior de Vogüé, ni cet étranger fanfaron qui, s’étant introduit dans le temple de Cnide, passa la nuit entière avec la déesse de marbre et l’épousa complètement, comme le raconte Lucien, ni enfin le sculpteur qui aima la statue jusqu’à l’animer de son souffle, j’ai peine à croire que personne ait connu le même transport. Si le ciel en feu, si la roche dure que je foulais et le marbre que j’étreignais ne fournirent point de réponse à la vibration secrète de ce baiser, si je fus seul où je me crus mêlé à d’universelles ivresses, c’est un point qu’il est superflu de traiter, car le doute et la foi y deviennent insoutenables. Ce qui n’admet ni foi ni doute, étant certain, c’est l’état de folie lyrique où je roulai avec une complaisance infinie, sans cesser de tenir la belle substance embrassée.

Rien de tel ne m’avait été murmuré à l’oreille, depuis le jour de ma jeunesse où l’enceinte dévastée du théâtre d’Arles m’avait fait éprouver la présence réelle et, au même moment, le deuil de la vie antique : deux légers styles corinthiens qui, pour appartenir à l’âge inférieur, me sem-