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Demain dimanche il prétend m’emmener au château d’Epagne, chez une mystérieuse vieille fille qui, dit-il, a été fort belle et que tout Abbeville appelle Mademoiselle, avec un grand M. J’irai peut-être, car il faut tout voir : mais sois bien tranquille, ces châteaux-là ne me tourneront pas la tête.

Je deviens ici de plus en plus communiste et adversaire enragé de la civilisation mercantile : croirais-tu, mon vieux, qu’à Abbeville il y a huit notaires, trois huissiers, cinq ou six chapeliers, vingt papetiers et un nombre infini de cabaretiers, tout cela pour un peu moins de vingt mille habitants, qui presque tous passent leur vie à s’attendre les uns les autres au fond d’une boutique obscure. Cabet a raison : le commerce est un vice. Les sots et les méchants peuvent rire de son livre, mais si folle que soit son Icarie, elle l’est moins que ce système-ci.

Adieu, mon bon vieux, écris-moi : salut et fraternité.