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L’IMMORTALITÉ

ment chaque nuit il s’anéantit dans notre sommeil, mais même à l’état de veille, il est à la merci d’une foule d’accidents. Une blessure, un choc, une indisposition ; quelques verres d’alcool, un peu d’opium, un peu de fumée suffit à l’effacer. Même quand rien ne l’altère, il n’est pas constamment sensible. Il faut souvent un effort, un retour sur nous-mêmes pour le ressaisir, pour prendre conscience que tel ou tel événement nous advient. À la moindre distraction, un bonheur passe à côté de nous, sans nous toucher, sans nous livrer le plaisir qu’il renferme. On dirait que les fonctions de cet organe par quoi nous goûtons la vie et la rapportons à nous-mêmes, sont intermittentes, et que la présence de notre moi, excepté dans la douleur, n’est qu’une suite rapide et perpétuelle de départs et de retours. Ce qui nous tranquillise, c’est qu’au réveil, après la blessure, le choc, la distraction, nous nous croyons sûrs de le retrouver intact, au lieu que nous nous persuadons, tant nous le