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À PROPOS DU ROI LEAR

Aucun poète n’ignore qu’il est presque impossible d’allier, au théâtre, la beauté des images au naturel de l’expression. On ne saurait le nier ; toute scène, dans la plus haute tragédie comme dans la plus banale comédie, n’est jamais, ainsi que le faisait observer Alfred de Vigny, qu’une conversation entre deux ou trois personnages réunis pour parler de leurs affaires. Ils doivent donc parler, et pour nous donner ce qui est au théâtre l’illusion la plus nécessaire, l’illusion de la réalité, il faut qu’ils s’écartent le moins possible du langage employé dans la vulgaire vie de tous les jours. Mais dans cette vie assez élémentaire nous n’exprimons presque jamais par la parole ce que peut avoir d’éclatant ou de profond notre existence intérieure. Si nos pensées habituelles se mêlent aux grands et beaux spectacles, aux plus hauts mystères de la nature, elles demeurent en nous à l’état latent, à l’état de songes, d’idées, de sentiments muets qui, tout au plus, se trahissent parfois