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À PROPOS DU ROI LEAR

est formée cette montagne, on se rend compte que les éléments qui la composent sont empruntés à un surnaturel variable et arbitraire ; c’est de l’« au-delà » sous une espèce et une apparence contestables, religieuses ou superstitieuses, par conséquent transitoires et locales. Mais — et c’est ce qui lui fait une place à part parmi les quatre ou cinq grands poèmes dramatiques de la terre — dans le Roi Lear il n’y a pas de surnaturel proprement dit. Les dieux, les habitants des grands mondes imaginaires ne se mêlent pas à l’action, la Fatalité même y est tout intérieure, elle n’est que de la passion affolée ; et cependant l’immense drame développe ses cinq actes sur une cime aussi haute, aussi surchargée de prestiges, de poésie et d’inquiétudes insolites que si toutes les forces traditionnelles des cieux et de l’enfer avaient rivalisé d’ardeur pour en surélever les pics. L’absurdité de l’anecdote primitive (presque tous les grands chefs-d’œuvre, devant représenter des actions types forcément outrées,