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— Comme leurs ambitions. Et puis, fit observer maître Bernard en riant, la chance les favorise quelquefois. Tenez, un de mes clercs, un vieux travailleur obstiné, économe jusqu’à l’avarice, qui avait mis de côté, sou par sou, de quoi acheter un lopin de terre et une masure où prendre sa retraite, est venu me trouver un matin pour m’annoncer son départ. Il avait, m’a-t-il dit, gagné vingt mille francs avec une obligation à lots.

— Bigre ! Il y a longtemps ?

— Quelques semaines… le 8 mai… je me rappelle la date parce que l’après-midi même M. Guercin était assassiné…

— Vingt mille francs ! dit Raoul sans relever cette coïncidence de dates. Une vraie fortune pour lui !

— Une fortune qu’il est en train de dissiper. Ma foi, oui ! Il paraît qu’il est installé dans un petit hôtel de Rouen et qu’il mène joyeuse vie. »

Raoul se divertit fort de l’aventure, fit en sorte de connaître le nom du personnage, et prit congé de maître Bernard.

À neuf heures du soir, après une enquête rapide à Rouen, il trouvait, dans un hôtel meublé de la rue des Charrettes, le sieur Fameron, clerc de notaire, un homme maigre, long, lugubre de visage, vêtu d’une redingote de drap noir et coiffé d’un chapeau haut de forme. À minuit il buvait dans une taverne où Raoul l’avait invité, et achevait de s’enivrer dans un bal public où il dansait un cancan échevelé en face d’une fille énorme et tumultueuse.

Le lendemain, la fête recommença, ainsi que les jours suivants. L’argent du sieur Fameron coulait en apéritifs et en verres de champagne offerts à un tas de gens qui s’accrochaient à ce généreux personnage. Mais Raoul était son ami préféré. Quand il revenait au petit matin, expansif et titubant, il lui prenait le bras et s’épanchait :