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« Dès lors, j’ai vécu en pleine détresse, tantôt me croyant folle aussi, et tantôt convaincue qu’il y avait contre moi et contre ceux qui habitaient le domaine de la Barre-y-va, une menace terrible. Je n’en parlais toujours pas. Mais comment ne se fût-on pas aperçu de mes terreurs et de ce qu’on appelait mes lubies ? Ma pauvre sœur, de plus en plus inquiète, et ne pouvant s’expliquer mon état maladif, me suppliait de quitter Radicatel. Elle avait même préparé plusieurs fois notre prochain départ. Je ne voulais pas. N’étais-je pas fiancée, et, bien que, précisément, mon humeur changeât un peu la nature de mes relations avec Pierre de Basmes, je ne l’en aimais pas moins. Seulement, je l’avoue, j’aurais eu besoin d’un guide, d’un conseiller. J’étais lasse de lutter seule. Pierre de Basmes ? Béchoux ? ma sœur ? Je vous ai dit que je ne pouvais pas, pour des causes puériles d’ailleurs, me confier à eux. C’est à ce moment que je pensai à vous. Je savais que Béchoux possédait la clef de votre appartement et qu’il l’avait placée sous sa pendule. Un jour, en son absence, j’allai la prendre.

— Eh bien, s’écria Raoul, il fallait venir, ou même simplement, m’écrire.

— L’arrivée de M. Guercin retarda mes projets à votre égard. J’avais toujours été en bons termes avec le mari de ma sœur. C’était un homme aimable, serviable, qui me montrait de l’affection, et que je me serais peut-être décidée à mettre au courant. Malheureusement vous savez ce qu’il est advenu. Le surlendemain, ayant reçu une lettre de Pierre de Basmes m’annonçant la résolution implacable de sa mère et son propre départ, je sortis du jardin pour le voir une dernière fois. Je l’attendis au lieu habituel de nos rendez-vous. Il ne vint pas. C’est le soir de ce jour que je pénétrai dans votre appartement.