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Et, de nouveau nerveuse, elle continua avec une même intonation assourdie et saccadée :

« Alors, quoi, j’étais devenue folle ? Ces arbres que j’avais toujours connus sur le tertre, que j’y avais vus encore deux années auparavant, n’y étaient déjà plus à cette époque, puisque le plan établi par grand-père et par moi datait de plus de cinq années ? Il était donc possible que mon cerveau fût en proie à de telles aberrations ? Je luttais contre l’évidence des faits. J’aurais préféré croire au transport des arbres pour des raisons que j’ignorais. Mais le plan contredisait le témoignage de mes yeux et la conviction de ma mémoire, et, obligée, par moments, d’admettre mon erreur, je défaillais d’angoisse. Toute ma vie me semblait une hallucination, tout mon passé un cauchemar où je n’avais connu que visions fausses et réalités mensongères. »

Raoul écoutait la jeune fille avec un intérêt croissant. Dans les ténèbres où elle se débattait, lui-même, malgré quelques lueurs qui lui donnaient la certitude d’atteindre le but, lui-même il n’apercevait encore que confusion et incohérence.

Il lui dit :

« Et de tout cela vous ne parliez pas à votre sœur ?

— Ni à ma sœur ni à personne.

— À Béchoux, cependant ?

— Pas davantage. Je n’ai jamais compris la raison de sa présence à Radicatel, et je ne l’écoutais que quand il nous racontait quelques-unes de vos campagnes communes. D’ailleurs, je devenais sombre, soucieuse, et l’on s’étonnait de voir mon humeur presque sauvage et mon déséquilibre.

— Mais vous étiez fiancée ? »

Elle rougit.

« Oui, j’étais, je suis fiancée, ce qui était encore pour moi une cause de tourments, puisque la