Page:Maurice Leblanc - La Barre-y-va.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Raoul, elle demeurait très pâle. Ses lèvres, d’un dessin gracieux, fraîches comme des lèvres d’enfant, se crispaient par moments. Mais il y avait de la confiance dans ses yeux.

« Excusez-moi, dit-elle, d’une voix altérée, je n’ai peut-être pas toute ma raison… Cependant je sais bien ce qu’il en est, et qu’il y a des choses… des choses incompréhensibles… et d’autres qui vont venir, et qui me font peur… oui, qui me font peur d’avance, sans que je sache pourquoi… car enfin rien ne prouve qu’elles se produiront. Mon Dieu ! mon Dieu… comme c’est effrayant… et comme je souffre !… »

Elle passa la main sur son front avec un geste de lassitude, comme si elle voulait chasser des idées qui l’exténuaient. Raoul eut vraiment pitié de son désarroi, et se mit à rire pour la tranquilliser.

« Ce que vous paraissez nerveuse ! Il ne faut pas. Cela n’avance à rien. Allons, du courage, mademoiselle. Il n’y a plus rien à craindre, même de ma part, du moment qu’on me demande secours. Vous venez de province, n’est-ce pas ?

— Oui. Je suis partie de chez moi ce matin, et je suis arrivée à la fin de l’après-midi. Tout de suite, j’ai pris une auto qui m’a conduite ici. La concierge, qui croyait que vous étiez là, m’a indiqué votre appartement. J’ai sonné. Personne.

— En effet, les domestiques avaient congé et, moi, j’ai dîné au restaurant.

— Alors, dit-elle, je me suis servie de cette clef…

— Que vous teniez de qui ?

— De personne. Je l’avais dérobée à quelqu’un.

— Ce quelqu’un ?

— Je vous expliquerai.

— Sans trop tarder, dit-il… J’ai tellement hâte de savoir ! Mais, une seconde… Je suis sûr, mademoiselle, que vous n’avez pas mangé depuis ce matin, et que vous devez mourir de faim !