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heureuse là, entre ces trois saules isolés, couchée dans leurs branches ou me balançant dans un hamac que j’avais accroché d’un arbre à l’autre.

« Je me rendis vers eux comme on se rend à un pèlerinage, ardemment et lentement, l’âme recueillie et les tempes battant d’un peu de fièvre. Je me frayai un chemin parmi les ronces et les orties qui obstruaient les approches du vieux pont, ce vieux pont vermoulu où je dansais autrefois par défi et parce qu’on me défendait de m’y aventurer. Je le franchis. Je traversai l’île et je suivis la rivière en m’élevant par le sentier qui la domine et qui conduit à la région rocheuse du jardin. Des arbustes, poussés depuis mon départ, me cachaient le petit tertre que je voulais atteindre. Je me glissai dans ce taillis épais. J’écartai les branches. Je débouchai, et tout de suite jetai une exclamation de stupeur. Les trois saules n’étaient pas là. Ils n’y étaient pas, et voilà qu’en regardant autour de moi avec des yeux effarés, et un véritable désespoir, comme si les êtres les plus chers avaient manqué à mon rendez-vous, voilà que cent mètres plus loin, de l’autre côté des roches, et après un tournant de la rivière, je les apercevais tout à coup, mes trois arbres disparus… les mêmes, je vous assure, les mêmes, placés comme autrefois en éventail, et tournés dans la direction du manoir d’où je les avais si souvent contemplés. »

Catherine s’interrompit et observa Raoul, non sans quelque inquiétude. En vérité, il ne souriait pas. Non, il n’avait pas l’air de se moquer, et l’on eût dit au contraire que l’importance dramatique qu’elle donnait à sa découverte lui paraissait toute légitime.

« Vous êtes certaine que personne n’a pénétré dans le domaine de la Barre-y-va depuis la mort de votre grand-père ?