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finit par s’endormir et, lorsque sa tête s’inclinait sur l’épaule de Raoul, il la redressait avec douceur. Elle avait un front brillant. Ses lèvres balbutiaient des mots qu’il n’entendait point.

Le jour commençait à poindre quand il déboucha en face d’une charmante petite église accroupie dans de la verdure naissante, au bas d’une étroite vallée qui monte sur les falaises cauchoises, et près d’une mince rivière sinueuse qui va se jeter dans la Seine. Derrière lui, par-delà les vastes prairies, et sur le large fleuve qui tourne autour de Quillebeuf, des nuages fins et longs, d’un rose de plus en plus rouge, annonçaient la proche ascension du soleil.

Dans le village encore assoupi, personne. Aucun bruit.

« Votre maison n’est pas loin d’ici ? dit-il.

— Tout près… là… en face… »

Une magnifique allée à quatre rangées de vieux chênes suivait la rivière et conduisait à un petit manoir que l’on apercevait à travers les barreaux d’une grille. La rivière obliquait à cet endroit, passait sous un terre-plein, remplissait des douves garnies de pointes de fer, puis tournait encore et pénétrait dans un domaine qu’encerclait un haut mur de pierre à contreforts de briques.

La jeune fille eut alors une nouvelle crise d’appréhension, et Raoul devina qu’elle eût souhaité de s’enfuir plutôt que de retourner dans des lieux où elle avait dû souffrir. Pourtant, elle se domina.

« Il ne faut pas que l’on me voie rentrer, dit-elle. Il y a tout près une porte basse dont j’ai aussi la clef sans que personne le sache.

— Vous pouvez marcher ? lui dit Raoul.

— Oui… un moment…

— La matinée est déjà tiède. Vous n’aurez pas froid, n’est-ce pas ?