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nous demeurent inconnus. Ainsi, en l’occurrence, je ne distinguais absolument rien dans la psychologie de Bertrande, et pas davantage dans celle de Catherine. Je ne songeais même pas qu’il y eût quelque chose à distinguer qui fût étranger à notre affaire. Elles avaient l’une et l’autre des sautes d’humeur, des accès de confiance à mon égard et de défiance, de crainte et de tranquillité, de gaieté et de sombre mélancolie, au sujet desquels je fis entièrement fausse route. Dans tous les mouvements de leur esprit, je ne cherchais qu’une relation avec notre affaire, et je ne les interrogeais qu’à propos de cette affaire, alors que, la plupart du temps, leurs pensées ne s’y rapportaient nullement. Mon erreur, à moi qu’obsédait un problème criminel sur lequel mon opinion n’était pas loin de se former, fut de ne pas voir que le problème était en partie sentimental. Cela retarda quelque peu la solution. »

Mais, en revanche, que de compensations ce retard valut à Raoul ! Conseiller quotidien des deux sœurs, obligé de soutenir leur moral et de remonter leur courage, il vécut entre elles, soit avec l’une, soit avec l’autre, des semaines charmantes. Le matin, avant le déjeuner, elles le retrouvaient sur une barque qu’il avait fait amarrer au pilier de gauche et où il se livrait à la pêche, son divertissement favori.

Parfois, ils s’en allaient à la dérive, portés par le flot qui faisait remonter la rivière vers sa source. Ils passaient sous le pont, ils passaient contre la Butte-aux-Romains dans la gorge profonde qui menait aux saules. Et puis ils s’en retournaient nonchalamment avec le flot qui redescendait.

L’après-midi, c’était une promenade aux environs, vers Lillebonne ou Tancarville, ou vers le hameau de Basmes. Raoul causait avec les paysans. Quoique les Normands se défient des étran-