Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.

― Il faudra prévenir Doubledent, répondit le second individu qui était Lecardonnel. Il peut avoir intérêt à savoir que le vicomte en est déjà aux expédients après les avances qu’il lui a faites.

Les trois personnages qu’observaient les deux compères, dans un but que nous connaîtrons plus tard, retournaient au jeu en ce moment. Le marquis alla se rasseoir à la table du trente-et-quarante, et il étala devant lui ses capitaux ; mais, pendant qu’il mettait son lorgnon pour y mieux voir, l’individu à figure judaïque, qui n’avait pas quitté la place où nous l’avons vu quelques instants auparavant à côté du marquis, lui vola un jeton qui représentait un louis.

En moins d’une heure, le marquis avait tout perdu, plus les cent francs que d’Havrecourt lui avait rendus, plus deux cents francs qu’il lui avait empruntés, car le vicomte était en veine, et, sur ces deux cents francs il y avait deux louis que le marquis n’avait jamais pu retrouver, grâce à son voisin l’israélite qui feignait de regarder très attentivement d’un autre côté.

― Je crois, ma parole d’honneur ! qu’il y a des voleurs ici ! s’écria le marquis ; non pas des voleurs au jeu, ce serait trop légal et trop honnête, mais de simples escarpes qui chipent matériellement l’argent sur la table. Voilà deux nouveaux louis qui viennent de disparaître de mon jeu.

À ces mots toutes les têtes se levèrent.

― Oui, il y a des voleurs ici, s’écria le jeune israélite ; je l’ai déjà remarqué moi-même.

― Et moi, j’ai remarqué que vous êtes ici à regarder sans jouer depuis plus de deux heures, et qu’on a trop souvent le désagrément d’éprouver le contact de votre personne physique, dit le marquis.