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glé avec la dernière précision, aux cheveux d’un blond roux soigneusement distribués sur la tête, paraissant, malgré tous les rajeunissements possibles, avoir dépassé la cinquantaine.

Et en parlant ainsi avec toute espèce de sourires gracieux et de contorsions aimables, le personnage dont il s’agit indiquait du doigt un monceau de pièces et de jetons groupés sous la main d’un jeune homme qui suivait de l’œil une partie dans laquelle il était engagé comme parieur.

― Oh ! un peu de ferraille seulement, répondit le jeune homme, qui n’était autre que le marquis, surnommé aussi Chat-Botté, que nous avons déjà vu à la pension du père Lamoureux ; et le marquis exerça une pression prudente sur son trésor, qu’un autre individu à figure judaïque, accoudé sur la table comme un simple spectateur, regardait d’assez près.

― Messieurs, faites vos jeux ! dit Barbaro qui présidait de son air le plus maussade à la table du trente-et-quarante, où se trouvait le marquis.

Il n’est pas d’usage de faire la conversation autour d’un tapis vert ; aussi le marquis ne prêta-t-il plus la moindre attention à son interlocuteur, qui pirouetta d’un autre côté, prodiguant partout des sourires auxquels personne ne répondait.

Ce personnage assez curieux, un des boulevardiers les plus connus de cette époque, était ce qu’on appelle une existence problématique. Personne ne lui connaissait la moindre profession, la moindre fortune, la moindre famille ; toujours affairé, toujours courant, abordant une quantité de personnes, paraissant dans tous les cafés du boulevard, au bois, au spectacle, au concert, et partout sans rien payer, racontant la nouvelle du jour,