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petit pied, apparaissant de temps à autre avec un bruit cadencé sous les plis d’une robe imperceptiblement relevée.

Chacun des mouvements que faisait la jeune fille, chacun de ses pas, chacune des ondulations de sa robe agitaient son cœur et y faisaient fleurir une pensée pleine de charme et de douleur à la fois.

Georges Raymond n’avait jamais aimé. Toujours ployé sous le poids des préoccupations, du travail, de la pauvreté, il n’avait touché qu’en passant aux amours banales du quartier Latin, sans avoir rencontré dans sa vie dénuée de tout contact avec le monde, une seule occasion d’émousser la sensibilité profonde qui était restée à l’état latent au fond de son âme. Il avait la faiblesse de rêver des amours élégantes, et, sentant bien qu’il n’était qu’un pauvre diable, il s’était résigné à vivre fièrement dans la solitude d’un cœur que la première épreuve devait profondément ébranler.

Les deux dames s’arrêtèrent tout à coup en face d’un hôtel aujourd’hui démoli qui se trouvait à l’extrémité de la rue de Lille, entouré de grands arbres dont on apercevait les branches flotter au-dessus des murs du jardin.

La jeune fille n’avait pas un seul instant détourné la tête, quoiqu’elle se fût probablement aperçue, ainsi que sa compagne, de la présence du jeune homme, et, lorsque la porte de l’hôtel s’ouvrit, elles disparurent toutes deux, tandis que la porte se refermait sur elles avec un bruit majestueux.

― Imbécile ! se dit Georges Raymond, pourquoi m’aurait-elle reconnu ? Je ne suis ni beau ni élégant. Et il jeta sur son costume extrêmement modeste un regard de compassion.