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en personne, accompagnée de Belgaric, de l’Odéon, suivi lui-même de sa maîtresse la grosse Zoé, connue généralement sous le nom de Zoé-Canada.

À peine celle qu’on appelait Bouton-de-Rose eut-elle paru sur le seuil de la porte, que Léon Gaupin se précipita vers elle, l’enleva dans ses bras comme une enfant et la promena en triomphe autour de la table.

Léon Gaupin était amoureux fou de cette fille, qu’il avait rencontrée dans un bal et qui lui glissait des mains comme une anguille dès qu’il n’avait plus d’argent. Elle était d’ailleurs extrêmement jolie, très effrontée, se souciait fort peu de Léon Gaupin, et ne venait à la pension de temps en temps que pour voir Karl, dont elle était éprise et qui ne faisait pas attention à elle. Gaupin ne l’avait pas vue depuis huit jours, et c’était un pur caprice qui l’avait amenée à la pension en rencontrant Zoé-Canada, qui s’y rendait avec Belgaric.

― Jacquinet, voyez pour ces dames, cria d’un ton sec le père Lamoureux, à l’apparition d’un sexe dont il redoutait toujours l’invasion dans son établissement.

― Flûte ! J’ai envie de m’en aller, dit Bouton-de-Rose en voyant que Karl n’était pas là.

― Ah ! oui, essaye donc un peu pour voir, dit Gaupin en bataillant avec elle et en la forçant à s’asseoir à côté de lui.

― Canaille de directeur ! fit Belgaric en dépliant sa serviette. On devait me donner le rôle de Pallas à la première reprise de Britannicus, et c’est cet ivrogne de Dolbeau qui l’emporte. Ayez donc le talent de Talma ou de Lekain, voilà à quoi ça sert quand l’art est dégradé.

― Allons, bon ! dit Gaupin, à l’oreille de qui Bouton-de-Rose venait de se pencher gentiment, voilà