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vu avec une sorte de défiance par la majorité des deux groupes, à cause de sa réserve que l’on prenait pour de la hauteur, et du peu d’engouement qu’il témoignait pour les opinions exaltées de ses camarades.

Il n’était lié avec aucun d’eux, si ce n’est avec Karl Elmerich, plus jeune que lui de trois ou quatre ans, et qui lui témoignait la plus tendre amitié. Une analogie de situation et de caractère les avait étroitement rapprochés.

Un jour, Karl avait raconté à Georges son histoire ; cette histoire était plus étrange encore que celle de Georges Raymond.

Il était orphelin aussi et n’avait jamais connu ni son père, ni sa mère ; tous ses parents étaient morts. Né à Valenciennes et élevé par charité dans une maison d’éducation religieuse, lorsqu’il était arrivé à l’âge de raison, on lui avait appris une sorte de légende terrible, qui courait dans le pays, sur les circonstances de sa naissance.

Son père, fils d’un brasseur de Colmar, s’était marié dans cette ville et avait abandonné sa femme le surlendemain de son mariage. On avait trouvé un individu tué dans le jardin de la maison ; son père, accusé par la rumeur publique d’être le meurtrier, avait disparu sans que personne en eût jamais entendu parler depuis cette époque. Sa mère était devenu folle et elle était aller accoucher en fugitive, quelques mois après, dans un hospice de Valenciennes, où son fils avait été recueilli par la charité publique.

La ville de Valenciennes, où il était né, avait fait les frais de son éducation à cause de sa douceur de caractère et des dispositions précoces qu’il montrait pour la musique.