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diants sérieux, à tous ceux enfin qui voulaient dîner vite pour aller à leurs plaisirs ou à leurs affaires.

Le second réunissait surtout les étudiants des écoles, les artistes, les petits journalistes, ceux qui prenaient leur café et leur petit verre dans l’établissement, prolongeaient indéfiniment le dîner, fumaient, buvaient, discutaient et faisaient du crédit.

Mais, comme cela devait naturellement arriver, la seconde table minait la première, qui commençait à être désertée, et l’on pouvait prévoir le moment où il n’y aurait plus qu’une seule et unique table composée de la plus fine fleur artistique, littéraire et démocratique. Le père Lamoureux d’ailleurs n’aimait réellement au fond que ses habitués du numéro 2, qu’il appelait ses lapins ; il appelait les habitués de la table numéro 1 : ses messieurs.

La table numéro 2 était partagée en deux bandes parfaitement distinctes, entre lesquelles il y avait eu même une scission complète pendant quelque temps.

Le premier groupe reconnaissait pour chef un nommé Soulès, fils de famille, fort riche, jouissant déjà d’une grande partie de sa fortune depuis la mort de son père, ancien confiseur à Évreux. Soulès s’était fait recevoir avocat à Paris ; mais, soit qu’il n’eût pas réussi dans cette profession ou qu’il y eût éprouvé quelqu’humiliation cruelle, il avait les avocats en horreur et les maltraitait fort dans ses propos.

Il passait pour disciple et confident de Blanqui, dont il ne parlait cependant jamais, mais qui, dit-on, dirigeait, à l’aide de ce jeune homme, les têtes les plus chaudes du quartier Latin. Soulès était petit, contrefait, la figure rouge et couverte de boutons ; sa santé extrêmement mauvaise contribuait peut-être à le ren-