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Ce parti une fois arrêté, Doubledent résolut de brusquer la solution. Laisser le vicomte aller au fond de l’eau, accabler Georges Raymond et se présenter hardiment à l’hôtel de Marcus, accompagné de l’héritier légitime de Daniel Bernard, dont le tuteur de Mlle de Nerval avait exigé la production, tel est le projet qu’il conçut immédiatement. Mais il fallait commencer avant tout par se débarrasser de Georges Raymond.

D’après ses instructions, Ecoiffier et Lecardonnel n’avaient pas, depuis trois jours, perdu un seul instant de vue Karl Elmerich. Ils étaient constamment sur ses traces, se relayant pour l’observer et le suivre tour à tour quand ils avaient fait semblant de le quitter.

Ils étaient en faction dans la rue lorsque Georges Raymond était venu dans la matinée rendre visite à Karl. Ils l’avaient vu entrer et ils avaient vu Karl sortir seul deux heures après. Or, en rentrant dans sa chambre vers quatre heures et demie, Karl avait ramassé près de sa table de travail une lettre décachetée ayant l’aspect usé et fatigué, telle qu’une lettre peut être à la suite d’un séjour prolongé dans un portefeuille ou dans la poche d’un paletot.

Cette lettre n’était pas sous enveloppe ; l’adresse avait été mise sur la feuille pliée en carré long, comme cela se fait encore quelquefois, et en ramassant ce papier pour savoir ce que c’était, il vit au bas la signature de Doubledent. Déplier, lire, fut l’affaire d’un instant ; la lettre contenait ces mots :

« Je vous prie, monsieur, de cesser vos visites chez moi à partir de ce jour ; j’ai cru un instant à votre loyauté, il m’était doux de penser que Karl avait en vous un défenseur dévoué, et j’étais heureux de le dire