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les grands journaux, des articles qu’on rebutait, qu’on ne lisait pas. Tantôt le manuscrit présenté était perdu, tantôt le rédacteur en chef devenait absolument invisible.

Parvenait-il à faire lire quelque chose, un rédacteur prenant avec lui des airs de protection lui démontrait que son travail ne valait rien. L’article était trop long ou trop court, trop sérieux ou trop léger ; le sujet avait déjà été traité ou était trop nouveau pour le public ; bref, il manquait toujours quelque chose.

Il soumit des projets d’ouvrages à cinq ou six éditeurs, il fut éconduit rondement. Il composa, dans des transports d’espérance, une comédie en trois actes qu’il porta au Théâtre-Français ; moins de quinze jours après, on la lui retournait poliment. Les mésaventures de ce genre se multipliaient ; il n’en était plus à les compter.

― Je n’y comprends rien ; il y a là une loi qui m’échappe, disait-il un jour en s’arrachant les cheveux devant Marius Simon, peintre bohême, d’un réel talent, qui joignait à un esprit extrêmement caustique beaucoup de sens commun, quand il ne s’agissait pas de lui-même.

― Mon cher, lui dit Marius Simon en bourrant sa pipe, quand on n’a pas de talent, il faut avoir l’habileté de le faire croire, et quand on en a, il faut savoir le cacher. Vous n’êtes capable ni de l’un ni de l’autre. Pourquoi, puisque vous êtes avocat, n’essayez-vous pas de vivre de votre état ? Cela vaudrait mieux, à tout prendre, que de faire des articles non insérés, des pièces de théâtre non reçues et des livres non payés.

Georges fut frappé de cette observation qui lui parut fort raisonnable.