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André-des-Arts. Il y avait à cette époque, au numéro 6 de cette rue, un hôtel meublé dont le rez-de-chaussée était occupé par un café.

C’est dans cette maison ou plutôt dans ce bouge que Karl Elmerich habitait. Il y avait là des chambres d’étudiant qui faisaient frémir, des galetas suant l’indigence, la malpropreté et la prostitution ; un escalier sale, des corridors noirs comme ceux d’une caserne, des portes jaunes numérotées, un carrelage couvert d’un glacis visqueux. Tel était l’aspect de l’affreux hôtel garni où la mauvaise fortune et le hasard avaient fait tomber Karl Elmerich.

Avec ses instincts aristocratiques, jamais Georges Raymond, dans ses plus mauvais jours, n’aurait pu se résigner à vivre dans un tel lieu.

Plus indifférent aux choses extérieures, n’ayant jamais connu l’aisance, Karl ne soufrait pas autant que Georges de tous les détails qui blessent la vue au sein de la pauvreté. Tout entier aux travaux de son art et vivant d’une vie intérieure, comme certains artistes, il avait la résignation patiente et douce qui permet de tout supporter.

Il n’était attaquable que par deux côtés, par une susceptibilité extrême pour tout ce qui se rattachait à son art et par le mysticisme exalté de ses opinions. Nous avons déjà signalé cette tendance, qui n’est point rare chez des natures d’élite déclassées par le malheur de leur naissance ou les hasards de leur première éducation.

Doubledent n’ignorait aucune de ces particularités, et il avait su les exploiter avec l’art infernal qui le caractérisait, à l’aide de ses deux affidés, Lecardonnel et Ecoiffier, dont la tactique consistait à défendre tou-