Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dès l’enfance, Georges Raymond s’était donc trouvé seul en face de lui-même. Refoulé dans toutes ses expansions par l’insensibilité complète de son oncle, détestant la discipline du collège qu’il subissait toutefois sans se plaindre, Georges était arrivé à la fin de ses études sans avoir rencontré autour de lui aucune des influences heureuses qui sont si nécessaires au développement moral d’un jeune homme.

Il s’était replié dans une concentration muette d’où devait sortir une nature originale et forte, mais dépourvue de toute préparation aux épreuves redoutables qui l’attendaient.

Son père, qui commençait à soupçonner, par ses lettres, le travail dangereux qui se faisait dans cet esprit solitaire, avait songé un instant à l’envoyer faire ses études à Paris ; puis il avait redouté les entraînements que pourrait y rencontrer une nature aussi ardente, en sorte que Georges, envoyé dans une Faculté de province, n’ayant point encore senti le besoin de la dissipation, mais n’ayant trouvé non plus aucune occasion de développer ses facultés, avait continué à l’École de droit de Caen la vie somnolente et studieuse qu’il avait menée au collège.

Un événement grave vint tout à coup bouleverser sa vie. Son père, qui avait fait une assez belle fortune en Amérique, dans le commerce des tissus, fut ruiné de fond en comble en 1863 par la faillite de la maison de banque John Spencer et C°, où se trouvaient engagés tous ses capitaux.

« Demain, je ne pourrai plus rien pour toi, écrivait-il le 31 décembre 1862 à son fils, en lui envoyant ses derniers écus : Tu ne verras pas ton vieux père venir traîner une vie misérable dans son pays. Je ne revien-