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D’Havrecourt était inquiet ; il regrettait de n’avoir pas pris dès le matin le parti auquel il venait de s’arrêter ; il craignait d’être rencontré, reconnu, de ne pas trouver Georges chez lui, de se heurter enfin à un de ces mille accrocs qui peuvent survenir quand une mauvaise veine se déclare.

À la responsabilité déjà si lourde de sa mission, venaient s’ajouter des préoccupations personnelles écrasantes, une situation financière voisine de la détresse, un mariage qui devait le sauver, mais qui dépendait d’une combinaison frauduleuse dont le succès n’était pas certain, un pacte sans nom conclu avec un scélérat qui pouvait l’entraîner au fond de l’abîme ; il y avait la de quoi faire frémir un homme dont l’audace n’aurait pas égalé la perversité.

Mais avec d’Havrecourt les crises intérieures n’étaient pas de longue durée. La promptitude de sa conception et sa volonté de fer ne le laissaient jamais incertain dans ses déterminations. Il remonta en voiture en donnant l’adresse de Raymond et en pressant la marche de son cocher.

Ce dernier descendit rapidement la rue du Faubourg-Poissonnière ; Poissonnière ; mais, tout à coup, au moment de franchir le boulevard, son cheval glissa sur le pavé et s’abattit en face d’une voiture à deux chevaux qui venait du boulevard et tournait dans le faubourg.

La chute du cheval de fiacre et la rupture des deux brancards firent ouvrir brusquement la portière, et le vicomte, précipité dehors, aurait pu se casser une jambe ou tomber dans le ruisseau comme un simple mortel ; mais, grâce à son adresse, il se trouva debout et parfaitement équilibré au moment où un cri d’alarme, poussé par une voix de femme, s’échappait de l’équi-