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mariage qui me sauve, tu veux que je repousse cette planche de salut pour me rejeter au milieu de la mer ! Ah ! si tu crois que je saurais supporter, comme tu l’as fait, les opprobres de l’indigence et les infamies de la pauvreté, ajouta-t-il en baissant la voix, si tu crois que je suis résigné à finir mes jours dans un hôpital, tu te trompes.

Rien ne me coûterait pour me venger si les hommes ne voulaient pas me faire place, et je ne me soucie pas plus de ce qu’ils pensent que d’une côte de melon pourrie qui a traîné dans le ruisseau.

La vie sociale est une lutte de bêtes fauves, et grâce à Dieu j’ai des griffes et des dents pour me défendre. Je te croyais devenu sérieux, tu me fais pitié ! Quel est ton plan ? Défendre Karl ? Mais sais-tu si tu seras encore demain son avocat ? As-tu fait un pacte avec lui ? Si tu es brisé et si tu le brises lui-même en voulant lutter, tu seras bien avancé ! Ta conscience sera troublée, dis-tu, si tu fais ce que nous voulons, tu ne seras plus honnête qu’à moitié. Eh bien, après ? Connais-tu quelqu’un ici-bas qui soit complètement honnête ? Si l’amitié te commande de ne pas trahir Karl, te commande-t-elle de me trahir, ne suis-je pas ton ami, moi aussi ?

En entendant ce langage, Georges Raymond était tombé dans un sombre silence. Il se leva le visage bouleversé. Hector lui tendit la main.

— Non, dit Georges Raymond, je ne pourrais te donner la main en ce moment. Je vais te chercher ta cassette ; peut-être ne nous verrons-nous plus.

— Veux-tu bien ne pas dire de ces choses-là, enfant, dit Hector en lui prenant la main malgré lui. Nous recauserons de tout cela, et ce qu’il faudra faire pour