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cria : « Que t’importe le sort de cette jeune fille que tu ne connais pas et qui n’est pas faite pour toi ? Ne vas pas te faire le champion d’un pauvre diable qui a rêvé un jour d’une succession et qui sera suffisamment dédommagé de ses misères passées par quelques billets de mille francs. Ne te mets pas en travers de d’Havrecourt et de Doubledent qui te briseront ; laisse leurs projets s’accomplir ; fais mieux encore, seconde-les et ta fortune est faite. »

— Ah ça, suis-je ou non un coquin ? se dit Georges Raymond en constatant le trouble de sa conscience. Comment puis-je avoir seulement la pensée d’une pareille infamie ? Mon parti est pris, dussé-je être brisé, je ne permettrai pas que ces indignités se consomment.

Cette décision une fois prise, il réfléchit qu’il ne savait rien des projets de d’Havrecourt, qu’il fallait au moins les connaître avant de les combattre et il résolut d’aller au rendez-vous qu’Hector lui avait donné.

Quel changement s’était fait dans son âme depuis quelques instants ! Lui qui, avant de partir pour l’Opéra, songeait avec ivresse à Isabeau et au bonheur qui l’attendait avec elle, il l’oublia !

À peine était-il rendu au boulevard des Italiens, qu’il vit arriver Hector d’Havrecourt.

Depuis un mois, le vicomte avait lancé Georges dans des parties si scabreuses, il lui avait fait faire des connaissances si étranges, il avait émoussé par tant de sarcasmes ce qu’il appelait sa candeur, qu’il ne doutait pas que les idées de Georges Raymond sur les choses de la vie ne se fussent profondément modifiées.

C’était vrai ; mais il y avait chez Georges des forces et des faiblesses dont Hector n’avait pas le secret. Geor-