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— Vicomtesse, chez une parente, et pour parler mariage, en commençant par visiter votre serre, qui donne sur le carré de la couturière

— Et au bout de laquelle serre est un boudoir ?

— Voudriez-vous qu’il n’y en eût pas ? dit Hector avec un regard plein de souvenirs.

— Et comment savez-vous qu’elle viendra ? Je suppose que vous ne lui avez pas dit devant son oncle : Mademoiselle, voulez-vous m’accorder un rendez-vous pour après-demain ?

— Adorable vicomtesse, l’art d’écrire a été inventé par Cadmus, et cet art depuis s’est généralisé dans ses applications. Je lui ai donc écrit que, sous peine de mort pour moi, il fallait que je la visse en particulier ; que si son oncle ne consentait pas à notre mariage je me tuerais ; que d’ailleurs elle était libre, maîtresse de ses droits et émancipée, dix-neuf ans, comtesse, une enfant !

Je lui ai fait remettre ma lettre, hier, en la suppliant de ne pas me refuser ce rendez-vous et de me répondre ce soir à l’Opéra par un signe convenu qui devait être l’expression du consentement ; elle a fait le signe.

— Et vous espérez, je le prévois, rendre le mariage inévitable par quelque entreprise audacieuse ?

Fleur aux charmants pistils qui pourra devenir un fruit… si les dieux sont propices au rendez-vous.

C’est indigne !

— Voyons, chère vicomtesse, cela se faisait ainsi au dix-huitième siècle : surprises, enlèvements, il n’y a que cela dans les romans de l’époque, expression des mœurs du temps. Voulez-vous que nous soyons plus moraux que sous l’ancienne monarchie ?