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qu’ils avaient pris et cédant, sans arrière-pensée, au plaisir d’aller annoncer à Karl Elmerich la découverte extraordinaire qu’il avait faite à l’audience, recevait en ce moment du jeune homme les marques de la reconnaissance la plus touchante.

— Moi ! héritier d’une grande fortune ! fils d’un père plusieurs fois millionnaire ! c’est un rêve, disait Karl. Ah ! si cela était vrai, comme nous serions heureux ! et il s’arrêta en contenant ses larmes ; il se rappelait comment était morte sa mère et quelle sinistre histoire on lui avait racontée de son père. Georges Raymond lui serra la main affectueusement ; mais, malgré lui, il était distrait.

— Ainsi, se disait-il, Karl est le fils de Daniel Bernard, cette jeune fille si ravissante que j’ai rencontrée à Notre-Dame est la belle-fille du millionnaire défunt ; c’est elle qui détient la succession ; c’est contre elle que je vais avoir à plaider, et j’ai pour adversaire l’homme redoutable qui tient tous les fils de cette étrange affaire dans ses mains. Quelle singulière destinée est la mienne ! Mon avenir dépend de ce que je vais faire, je le sens ; mais qui me donnera la prudence et la force dont j’ai besoin pour réussir ?

À huit heures, la salle de l’Opéra était au grand complet, les premières loges étaient resplendissantes de parures, on ne voyait même, aux secondes loges et aux balcons, que des toilettes élégantes. Presque toutes les notabilités politiques et littéraires se trouvaient là, ainsi que les hauts bonnets de l’industrie et de la finance, les G…, les D…, les d’Ei…, les deux P… malgré leurs récentes mésaventures.

Dans la loge de la princesse Mathilde, on apercevait le baron D… et M. B…, l’un des promoteurs des plus