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N’avait-il pas fait tomber entre ses mains l’affaire de Karl Elmerich, sur laquelle il basait, sans se l’avouer, ses plus grandes chances d’avenir ?

Il n’avait pas reparu depuis longtemps à la pension du père Lamoureux ; mais il recevait fréquemment la visite de Karl, à qui il était allé raconter, dès le lendemain, la démarche de Doubledent dans son cabinet.

Georges était cruellement embarrassé pour s’expliquer ; car enfin, s’il avait défendu de son mieux les intérêts de son ami, s’il avait repoussé avec dignité des propositions honteuses, quel profit avait-il tiré de cette entrevue ? Il n’avait obtenu de cet homme aucune indication, aucun renseignement, et, pour comble d’imprévoyance, il ne savait même pas son adresse. Karl, à qui il était allé la demander, ne la savait pas davantage, en sorte que le pauvre Georges Raymond se sentait plus confus qu’enorgueilli de la manière dont il avait rempli sa mission.

Karl Elmerich avait beau approuver tout ce qu’il avait fait, tout ce qu’il avait dit, Georges se rappelait une à une les fautes qu’il avait commises dans sa conversation avec Doubledent. Mais un jour pendant qu’ils étaient en train de causer, un incident fort inattendu se produisit, on apporta à Karl une lettre timbrée de Paris ; elle était ainsi conçue :

« Votre jeune ami est un noble cœur. J’ai voulu l’éprouver, je suis content de lui ; patience pour quelques jours, bientôt nous nous reverrons.

« A. Doubledent. »

— Tu vois bien, dit Karl en sautant au cou du jeune avocat, tu t’étais trompe sur lui, il ne s’était pas trompé sur toi.