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— Oh ! madame, dit Georges tout ému de son audace, vous ne connaissez pas assez le mérite de cette restitution pour que je ne m’en repente pas.

— Vraiment ! monsieur, répondit la comtesse en adoucissant un peu l’expression de son regard à la vue du jeune homme et à son accent. Il était si simple de ramasser cette fleur et de me laisser passer. Et, en disant ces mots, elle était plus imposante que la reine de Sabba.

— Un larcin que vous n’auriez pas connu, madame, comment cela pouvait-il me suffire, quand depuis une heure que vous êtes ici je guette le moment de me glisser sur vos pas comme un voleur, pour vous dire combien vous êtes belle !

— Et puis après, monsieur, quand vous me l’aurez dit ?

— Je recommencerai, madame, et je vous le dirai si bien que vous m’écouterez. Et, en parlant ainsi, il jetait un regard dans la direction du marquis qui s’était replié dans le grand salon ayant derrière lui Marius Simon qui se mordait les lèvres pour ne pas éclater de rire. Le marquis, outré d’avoir été devancé près de la comtesse, roulait des yeux furibonds.

— Et qui êtes-vous, monsieur, pour faire ainsi des déclarations à brûle-pourpoint aux femmes que vous ne connaissez pas ?

— Rien du tout, madame, je suis un reclus qui sort de sa prison, un chartreux qui sort de sa cellule, qui tombe ici ce soir, par le plus grand des hasards, et qui y rencontre la femme la plus adorable qu’il ait vue de sa vie, une de ces femmes qui font dire : vedere e poï morire.

— Et vous vous appelez ? dit la comtesse en regar-