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tor. Pendant ce temps, Georges, s’inclinant avec grâce et imitant les mines qu’il voyait faire aux jeunes gens de son âge, invita à danser Raffaella, qui se souleva comme une gazelle et tourna vers lui un regard céleste.

— Dire qu’elle a en un enfant ! pensa Georges Raymond.

À ce moment, Hector d’Havrecourt vint prendre le bras de la vicomtesse et Georges entendit le vicomte lui dire :

— Il paraît que nous ne verrons pas Isabeau ce soir ?

— Elle ne viendra peut-être pas à cause de vous. Vous vous êtes fait exécrer par elle : mon cher, vous avez eu tort, Isabeau est une puissance.

— Qu’est-ce encore que celle-là ? pensa Georges. Boit-elle le sang des petits enfants ? Avale-t-elle des sabres, des rasoirs, des étoupes ?

Le jeune avocat était un fort beau danseur. Par le plus grand des hasards, il possédait un de ces petits talents qui servent plus dans vie que l’art, la science ou le génie ; et, quoique jusqu’alors il n’eût brillé qu’à Bullier, au temps où il s’était jeté à corps perdu dans les bals, il était parfaitement à même de se faire apprécier sous ce rapport chez la vicomtesse.

Par une singulière bonne fortune, il avait comme vis-à-vis ou voisines de quadrille les cinq plus jolies femmes du bal. Juliette Sénéchal, dont la bouche orientale et les yeux noirs avaient un attrait magnétique, Rose Dancla, avec sa pyramide de cheveux blond cendré dont les torsades roulaient comme des flots sur ses épaules merveilleuses, la baronne de Bois-Baudran, étrangement séduisante avec ses cheveux roux, son teint bistré et pareille à un portrait de Bernardino Luini.