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Les conditions matérielles de la vie moderne donnent un caractère particulièrement sinistre à la lutte des déclassés. Sauf de rares exceptions, l’ouvrier, le manœuvre, trouve toujours à vivre de ses mains, on a toujours besoin de ses services. Il n’en est pas de même du lettré, de l’avocat ou de l’artiste, qui exercent des professions de luxe ; et quand un de ceux-là ne trouve pas à utiliser ses talents, il tombe dans cette détresse qu’on a si bien appelée la misère en habit noir, le poème le plus sinistre de la vie contemporaine.

Sans cesse à la recherche d’une position sociale, le déclassé est dans une sorte de vagabondage habituel, attendant les occasions, vivant d’expédients, se raccrochant aux branches, se glissant partout, écoutant tout, conservant sa gaieté malgré la faim et la soif, épiant une bonne aubaine, faisant bon visage à tout le monde, guettant les hommes qui doivent réussir, s’attachant à eux dès qu’il les voient surgir, étudiant les vices, les faiblesses, les ridicules pour chercher à en profiter, chassant à l’homme, à la femme, à l’argent, cherchant partout une proie à dévorer ; tantôt subsistant par la puis-