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communication vitrée donnait sur le grand salon, mais était fermée et masquée par des arbustes qui permettaient de voir dans la salle de bal sans être vu.

Par une disposition particulière des lieux, ménagée sans doute à dessein, la lumière du salon qui traversait toute la serre s’arrêtait au fond du boudoir d’où l’on apercevait toute la salle comme à travers un diorama.

— Si tu n’avais pas eu la bonne fortune de me rencontrer sur ton chemin, tu serais peut-être resté toute ta vie, ce que tu es en ce moment, un imbécile, dit le vicomte en s’étalant sur une ottomane de forme ronde placée au milieu du boudoir et en allumant un cigare avec une fatuité accrue par l’influence des libations qu’il avait faites à la Maison-d’or ; mais je t’ai adopté comme mon élève et je crois que tu feras ton chemin si tu parviens à te dépouiller d’un certain fond de candeur qui m’amuse toujours.

Le premier service à te rendre, et il vaut son pesant d’or, c’est de te faire connaître ce monde-ci. Nous ne sommes pas au faubourg Saint-Germain, comme tu penses, puisque tu viens de rencontrer Gaspard et Marius Simon, et il ne s’agit pas de regarder les femmes avec des yeux de veau qui tette. Ici les mères sont postiches, les femmes n’ont pas de mari et elles portent le nom de leurs amants. Tu as pu déjà entendre dire quelque chose de semblable au théâtre du Gymnase, dans je ne sais plus quelle pièce ; mais les mœurs contemporaines présentent des aspects autrement étranges que ne savent ou ne peuvent le dire quelques dramaturges éreintés, qui ne voient même pas ce qu’ils ont sous les yeux.

Nous sommes ici dans le monde des existences problé-