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par des entrechats et des chassés-croisés qui faisaient le plus grand honneur à l’élasticité de ses jarrets. La bonne vieille Michel, qui était témoin de cette scène, essuyait des larmes de joie avec son mouchoir, tout en riant de cette bouffonnerie.

— Et c’est comme cela que tu pleures ton oncle ?

— Tiens, c’est vrai ! dit Georges tout attristé, pour la première fois que mon oncle me fait du bien, j’oubliais déjà sa mémoire.

— Ta, ta, ta ! fit Hector avec un air de cantilène qui était de mode à cette époque. Pas de bêtises funéraires, l’ami. Tu ne vois donc pas que le vieux drôle te floue de deux cent mille francs avec sa servante, et, à ta place, je plaiderais en captation contre la maritorne qui les empoche bel et bien. Qu’est-ce que c’est que ces vingt-cinq mille francs qu’on t’envoie comme cela, de Caen à Paris, après le décès du bonhomme dont tu n’es informé que six semaines après ?

Avec la dextérité d’esprit qu’il apportait en toutes choses, le vicomte d’Havrecourt avait deviné en effet une partie de la vérité. La servante à laquelle M. Durand avait laissé tout son bien s’était bien gardée de prévenir le neveu du défunt. Elle avait fait disparaître toute trace de la correspondance qui avait pu exister entre eux.

Grâce à la connivence d’un avoué de la localité avec lequel elle se mariait six mois après, on avait enterré toutes les formalités, fait disparaître par anticipation toutes les valeurs de portefeuille, et comme le testament était en bonne et due forme, qu’il n’y avait pas d’autre héritier que Georges, Jacqueline Bouvet s’était fait envoyer en possession comme légataire universelle du défunt sans rencontrer aucun obstacle.