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d’acquiescement à ses volontés l’embarras du jeune avocat, que M. Karl Elmerich, qui n’a pas un son vaillant, sera trop heureux de sortir de l’indigence, et ne se montrera pas exigeant sur les conditions qui lui seront proposées. Il fera ce que vous voudrez, vous voudrez ce dont nous conviendrons.

Les hommes qui spéculent sur l’improbité des autres se croient si certains, en général, de ne pas se tromper, qu’ils ne comptent pas avec les exceptions. L’attitude de Georges Raymond était, d’ailleurs, bien faite pour abuser Doubledent ; il paraissait hésitant comme l’homme qui délibère avant de prendre un parti. Il reculait sur le terrain de la lutte pour ne pas se laisser emporter par le premier mouvement.

— Et la conséquence de tout ceci ? fit-il avec une altération de voix que Doubledent prit pour les dernières alarmes de la pudeur vaincue.

— La conséquence, c’est que vous êtes mon avocat, et vous me permettrez dès à présent de vous traiter comme tel. Vous savez que les bons clients ne reculent pas devant les provisions. J’ai là dans mon portefeuille quelques billets de mille francs qui demandent à faire votre connaissance, sans préjudice, bien entendu, des conditions particulières auxquelles nous nous entendrons sur l’affaire elle-même.

Et, en parlant ainsi, Doubledent fouillait tranquillement dans la poche de son paletot ; mais quand il en eut tiré son portefeuille, il vit le jeune avocat immobile devant lui, la bouche pleine de dédain, le front pâle.

— C’est la dernière des infamies que vous venez me proposer là ! — Le jeune homme avait vu passer, dans ses souvenirs, la scène du même genre que lui avait racontée d’Havrecourt.