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procès devant les magistrats. C’est une responsabilité bien grande, un poids bien lourd dont vous allez charger vos épaules. Ne pensez-vous pas que vous feriez bien d’accepter le concours…

— De qui ? De quoi ?

— De quelque grand avocat.

Georges Raymond fronça le sourcil.

— Ah ! oui, c’est cela, ne put-il s’empêcher de dire avec un sourire amer, au barreau comme ailleurs, on n’a pas le droit de devenir, il faut être arrivé ! Mais vous avez raison, monsieur, reprit-il en se contenant, je suis au barreau une fort mince personnalité, et il n’y a que les grands avocats qui peuvent plaider les grands procès, c’est entendu. Quel est donc le grand avocat que vous auriez l’intention de m’adjoindre ou plutôt de me donner comme mentor ?

Doubledent haussa les épaules.

— Allons donc ! dit-il en revenant à la bonhomie, est-ce que vous croyez que j’ai tant d’enthousiasme que ça pour les vieilles mâchoires et que je ne comprenne pas les jeunes ? Je voulais savoir ce que vous en pensiez et si vous vous sentiez les reins assez solides pour la lutte. Dieu me garde d’ôter cet atout de votre jeu.

Le jeune avocat laissa voir sur son visage une expression de joie que Doubledent saisit et commenta avec la puissance d’analyse dont il paraissait doué.

— Il s’agit donc d’une fortune bien importante ? dit Georges Raymond.

— Plus d’un million ! répondit Doubledent ; et comprenez bien ceci, continua-t-il en attachant son regard d’oiseau de proie sur le jeune avocat : je puis sortir, si je le veux, de votre cabinet, m’évanouir comme une fumée dans l’espace, sans que vous puissiez jamais