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XXII

DOUBLEDENT.


Le jeune avocat jeta un nouveau coup d’œil sur la carte de l’inconnu, qui ne contenait qu’un nom propre formidable, sans aucune indication d’adresse ni de profession : A. Doubledent.

— Faites entrer, dit-il à la veuve Michel qui avait laissé la porte de dégagement entr’ouverte et consultait avec inquiétude le visage de son maître pour savoir si cette visite était de bon ou de mauvais augure.

L’individu qui se présenta pouvait avoir une cinquantaine d’années. Il avait l’encolure épaisse, les cheveux ras et grisonnants, le teint couperosé, l’œil cauteleux et pénétrant. Une expression de bonhomie sardonique, un mélange de finesse et de trivialité rendaient sa physionomie joviale au premier abord ; de plus près elle était sinistre. Le sourire obséquieux qui régnait sur ses lèvres disparaissait quelquefois pour faire place à une contraction brutale, et quand il riait une rare expression de cynisme se répandait sur ses traits.

Il était difficile de ne pas être frappé d’une pareille figure. Sa tournure, son costume, une cravate blanche