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être comblé les hasards d’une fortune meilleure.

Georges Raymond avait acheté au fur et à mesure de ses minces ressources, son chétif mobilier, en sorte qu’il n’avait pu rien assortir, rien compléter, quoiqu’il eût un goût très vif pour les belles choses et qu’il sût les découvrir.

Ce soir-là, à quatre heures, le jeune avocat revenait du Palais sa serviette sous le bras, s’arrêtant machinalement devant l’étalage des bouquinistes du quai de la Monnaie, tandis que d’autres figures judiciaires, avocats, avoués ou magistrats passaient de temps à autre par le même chemin.

Georges ne savait pas ce qu’il lisait ; il songeait à la belle jeune fille de Notre-Dame qu’il avait revue quelques jours auparavant, et dont il savait désormais le nom. Il songeait à Mlle de Nerval ! Mais une autre pensée rivalisait d’intensité dans son esprit avec celle-là ; c’était l’affaire de Karl Elmerich, c’était l’histoire de cette succession fantastique qui avait lui un instant devant ses yeux.

Doubledent, ce personnage problématique qui était tombé un beau jour dans la mansarde du jeune compositeur, n’avait pas reparu ; Karl n’en avait plus entendu parler.

Ce grand procès, cette grande affaire qui avait point un instant à l’horizon, s’était effacée dans la brume. Georges retombait dans les mornes espaces du néant où il avait vécu.

— Rien d’heureux ne n’arrivera jamais, se disait-il, j’ai la malechance ! Ma mère morte en me donnant le jour, mon père assassiné, la solitude, la pauvreté, la souffrance, voila ma destinée, voilà mon lot ! Le vicomte a raison, il faut être pervers pour réussir. Moi