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— Et quand le succès dépend d’une claque qu’il faut payer, dit Belgaric, est-ce plus drôle ?

— Et quand il dépend des pharmaciens, dit le docteur Gédéon Mathieu, est-ce plus gai ? Oh ! être toujours jours sans le sou au milieu de la vie parisienne ! Enfer et Tantale ! Oh ! le luxe ! Oh ! les arts ! Oh ! les femmes ! Oh ! madame ! ajouta Gédéon Mathieu en tombant aux genoux de Zoé-Canada, qui se bouchait les oreilles pour ne pas être assourdie.

— Non, non ! tout le mal est dans la dégradation et l’immoralité de l’art théâtral, reprit Belgaric dont les sentiments moraux se réveillaient toujours quand on arrivait à ces discussions.

— Tu as raison, mille guimbardes ! dit tout à coup une voix puissante qui ébranla les murs du bureau de rédaction, et qui était celle de Cambrinus ; oui, l’art succombe et la littérature aussi, la peinture, la musique…

— Et la danse, interrompit le marquis, qui prévit une tirade à l’apparition de Cambrinus et essaya d’y couper court.

— Et la danse aussi, reprit Cambrinus écrasant du volume de sa voix tous les murmures. Que sont devenues toutes ces filles ailées de l’imagination et de l’esprit, grâce aux influences corruptrices qui s’étendent à toutes les directions de l’intelligence nationale ! C’est le favoritisme, et un favoritisme honteux qui refoule les talents, opprime les facultés, décourage les créations et les idées neuves dans tous les genres.

On a embauché toutes les médiocrités pour les opposer comme des remparts de terre glaise à l’expansion des intelligences et des forces actives de la génération nouvelle dont on redoute le génie.