Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croyez-le, et si jamais certaines espérances venaient à se réaliser… mais, plus tard… vous saurez…

— Je ne vous demande pas vos secrets, mon enfant, Dieu m’en garde. Certainement, si vous aviez besoin d’un conseil, je vous le donnerais bien volontiers ; mais soyez circonspect avec tout le monde, c’est le plus sage.

Le vacarme assourdissant qui régnait dans la salle voisine croissait de plus en plus. Les filles qui se trouvaient dans le capharnaüm, allaient, venaient, sortaient, rentraient ; les unes étaient attablées, les autres debout, celles-ci buvaient, celles-là fumaient ou rôdaient autour des tables en échangeant des quolibets avec leurs camarades des deux sexes.

Quatre ou cinq d’entre elles formaient un groupe à part et causaient de leurs affaires de cœur ou d’argent.

— Certainement, j’aime beaucoup Ernest, dit une brunette assez piquante qui s’appelait Judith, mais il est embêtant, il ne peut pas me donner assez d’argent pour être avec moi et il est jaloux. Ne voulait-il pas me forcer à passer hier toute la soirée avec lui parce qu’il m’avait fait un petit cadeau. Je lui ai dit : Mais c’est bête ; si tu m’aimais vraiment, tu me dirais : Prends cela, et tâche ce soir d’en avoir autant. Voilà comment on aime !

— C’est évident, fit le chœur des drôlesses.

— Oh ! qu’il est gentil, et que je serais heureuse s’il voulait faire attention à moi, dit en soupirant une assez jolie jolie blonde aux cheveux frisottants, qui avait le sobriquet de Chiffonnette. Et elle regardait fréquemment dans la salle où se trouvait Karl.

— Tu t’en ferais mourir, pauvre chat ! Mais Karl ne fait pas plus attention à toi qu’à un bout de cigare,