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Telle est la bohême dans son sens le plus étendu, avec ses bataillons multicolores, ses cadres, ses états-major ; véritable cour des miracles, enveloppant Paris tout entier, commandant aux noirs essaims de la masse populaire dans les jours de révolution, contenant pêle-mêle toutes les détresses sociales, toutes les scories des professions libérales, les impuissants, les désespérés et les forts, ceux qui périront dans la lutte et ceux qui vaincront ; tous aux prises avec le problème de l’existence et vaguant à travers Paris comme ces ombres plaintives que l’antiquité nous représente errant sur les bords du Styx, faute d’avoir pu payer l’obole au sombre nocher.

Que l’on songe aux tortures éprouvées par ces milliers d’hommes, véritables damnés de la civilisation moderne, affamés de tout, privés de tout, au milieu d’une société qui ne connaît que l’argent, et où n’avoir pas d’argent constitue une situation impossible ! Que l’on compte leurs misères, les drames inédits de leur existence ; leurs luttes et leurs malédictions, leurs vertus et leurs vices ! La fatalité contemporaine est là.