Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’été sur la terrasse, et pendant l’hiver, dans l’intérieur, se rassemblaient par douzaines, mêlées à une quantité d’étudiants, ces filles vagabondes qui pullulent dans toute l’étendue du boulevard Saint-Michel et des rues adjacentes ; troupe errante, immense, lamentable, qui roule sans cesse ses flots débordés des caboulots du quartier Latin aux lupanars en plein vent du boulevard Montmartre.

Cette plaie purulente de la société parisienne, cette armée de la prostitution issue du prolétariat moderne, plus hideux que l’esclavage antique, confine de trop près aux mœurs de la bohême pour que nous puissions voiler entièrement ce triste tableau.

Le café de la Renaissance (c’est le nom du café dont il s’agit) était, à cette époque, une des stations de cet immense itinéraire pornographique qui va du boulevard Saint-Michel au boulevard des Italiens. Il était comme qui dirait un des prolongements du café de Madrid, café essentiellement politique, que fréquentait beaucoup Cambrinus et où la rédaction du Barbare tenait quelquefois ses assises.

C’est dans ce milieu que vivait Karl. On le voyait côte à côte avec ses camarades, coudoyant les filles les plus affichées du bal Bullier, sans que jamais personne lui eût connu une maîtresse, sans que la pureté de ses mœurs eût jamais été troublée par le contact incessant de toutes ces femmes de hasard. Toujours distrait, toujours absorbé par une sorte de contemplation idéale, ayant vaincu les lazzis, les quolibets, les propos obscènes par l’indifférence mélancolique qu’il opposait à toutes les attaques, personne ne songeait plus à le tourmenter.

Né compositeur avant tout, plein de conceptions