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l’intérêt général, tous les intérêts particuliers poussent les hauts cris ; la masse du public en France ne comprend seulement pas le principe de l’impôt ; on n’y satisfait qu’avec douleur ; pour beaucoup de gens, se soustraire aux charges de l’État n’est pas une mauvaise action, voler le gouvernement n’est pas voler, c’est reprendre son bien à un ennemi qui a toujours les mains dans vos poches. — On sait avec quel empressement on cherche à être de la garde nationale, à faire partie du jury, avec quel empressement surtout on use de ses droits d’électeur ? Voilà ce qui s’appelle comprendre la vie publique !

La vie publique ! mais qui a le loisir de s’y mêler ? C’est à peine si au bout de la journée les hommes occupés ont le temps de se recueillir ! La vie publique ! mais nous n’y sommes initiés ni par l’éducation de la famille, ni par celle du collège, ni par la vie sociale. Au sortir de ses études, un jeune homme, s’il a l’esprit bien fait, s’apercevra immédiatement qu’il ne sait rien et qu’il est impropre à tout ; demandez-lui de voter, interrogez-le sur ses opinions politiques, sur ses idées générales, et vous verrez le joli sujet qu’ont fait la Presse et l’Université.

Non, je le répète, il n’y a pas d’opinion publique en France, je vais plus loin, je dis qu’il n’y a pas de libre-arbitre. À part quelques hommes qui se sont fait des principes et des idées personnelles à force d’étude et de méditation, le plus grand nombre vit sur une provision de lieux-communs qui passent de main en main comme de la monnaie.

Ce sont partout les mêmes mots, les mêmes phrases qui reviennent à l’oreille, et ces mots, ces phrases sont toutes faites depuis vingt ans. La Presse a habitué le public à prendre chaque jour sa pâtée d’idées toute formulées ; — voyez plutôt ce qui se passe : jamais le public ne jugera par lui-même un homme, un livre, une brochure ; la Presse lui dit : tel livre vient de paraître, c’est fort beau, il le lit ; la Presse lui dit : on joue ce soir telle